Portrait de Clarence Jones dans Libération

Publié le par I have a dream

Voici un article de Libération sur Clarence Jones datant du 15 janvier.
M. Jones qui est, rappelons-le, l'ancien avocat de Martin Luther King et co-auteur de nombreux discours dont celui notamment prononcé sur les marches du Lincoln Memorial à Washington, "I have a dream". Vous pourrez très prochainement découvrir l'interview vidéo que j'ai réalisé de lui lors de l'évènement "un jour Martin Luther King".  



Du rêve à la réalité

Libération 15 janvier 2009

A 77 ans, l’homme porte beau. Costume impeccable et boucle d’oreille, Clarence B. Jones aime bien se lever quand il parle. Marque son impatience en interrompant sans cesse son interlocuteur. Comme s’il avait peur que le monde ne saisisse pas l’importance de l’instant présent. A la deuxième question, pourtant, il s’interrompt un long instant avant de répondre, la tête entre les mains. Vous saisit soudain par la manche et ne lâche plus prise. «Ce que signifie l’élection d’Obama ? C’est une consécration, un aboutissement. Quand on a mené le combat que nous avons mené, on a encore du mal à y croire. J’ai vu beaucoup de choses dans ma vie mais je n’aurais jamais pensé qu’un Noir puisse entrer à la Maison Blanche avant ma mort.» Des «choses», Clarence B. Jones en a vu en effet. Durant toute la lutte pour les droits civiques, il fut l’un des proches conseillers de Martin Luther King. Son confident et ami, aussi. Celui qui a collaboré à la plupart de ses discours, dont le fameux «I have a dream» prononcé le 28 août 1963 sur les marches du Lincoln Memorial à Washington. «C’est un discours que nous avons mis plusieurs jours à écrire. J’ai travaillé dessus à New York et, le 27 août, nous nous sommes tous retrouvés au Willard Hotel, à Washington. Plusieurs conseillers ont donné leur avis puis je suis monté dans une chambre avec Martin pour peaufiner le texte.

Je suis à l’origine des sept premiers paragraphes. Tout ce discours était tourné vers l’avenir, vers le futur que nous espérions pour nos enfants. Et Obama nous a permis de toucher ce futur.» La route fut longue. Personne ne le sait mieux que Clarence B. Jones. Pendant des années, il a préféré garder le silence. Avant de publier un livre au printemps dernier aux Etats-Unis, What Would Martin Say ? (Que dirait Martin ?). «J’ai simplement senti que c’était le bon moment. Parce que les lignes étaient en train de bouger. Tout ce qui se passait sonnait comme un écho aux prophéties de Martin. Ça m’a fait réfléchir au chemin parcouru en Amérique.» En décembre, l’avocat californien et permanent de l’Institut Martin Luther King à Stanford University, s’est déplacé à Paris dans le cadre de «Rencontre avec MLK», un programme organisé au Trocadero pour commémorer le 40e anniversaire de la mort du leader noir. Une occasion pour dialoguer avec les jeunes. Tout dans l’émotion. «Nous sommes les acteurs depuis des décennies de l’histoire de ce pays. Pour les gens de mon âge, un tournant s’est opéré.



Avec Obama, les Noirs cessent de se considérer comme d’éternelles victimes du pouvoir blanc. Le temps des opportunités s’ouvre pour les Afros-Américains. Nous n’avons plus d’excuse pour ne pas aller de l’avant. Obama, c’est avant tout l’émergence d’une nouvelle génération. Des politiciens noirs qui ne s’adressent plus à une population monocolore, mais qui interpellent l’Amérique tout entière. Bien sûr, il y aura toujours des racistes, mais la couleur n’est plus au centre de la politique.» Il ne le dit pas comme ça, mais on a quand même l’impression que Clarence B. Jones est un peu soulagé de ce passage de témoin. «On commençait à se faire vieux et à être un peu fatigués. Il était temps que quelqu’un comme Obama prenne la suite.» Fils de domestiques, il est né en 1931 à Philadelphie, dans une autre Amérique, celle «où les Noirs n’étaient plus tout à fait des esclaves mais toujours considérés comme inférieurs». Très tôt, il est envoyé dans une famille d’accueil, parce que sa propre famille n’a pas les moyens de l’élever. Il grandit dans une école catholique et une nonne devient sa mère de substitution. Un parcours qui fera dire un jour à King que Jones «n’était pas un radical anti-Blanc parce qu’il avait appris ce qu’était l’amour maternel auprès d’une religieuse irlandaise». De fait, Clarence B. Jones n’est pas venu tout de suite à la lutte des droits civiques. Son combat fut d’abord personnel. Celui d’un Noir tellement brillant qu’il est accepté à Columbia University au tout début des années 50. Celui d’un Noir qui décide de faire un procès à l’armée qui veut le renvoyer car il a appartenu à un groupe «subversif», en l’occurrence une association de jeunes étudiants progressistes. Quand Luther King le contacte pour la première fois, il est déjà un avocat réputé, marié à une jeune aristocrate blanche - ce qui n’était pas si commun à l’époque - et vit dans une superbe villa d’une banlieue riche de Pasadena. Nous sommes en 1960 et King est injustement accusé de fraude fiscale par l’Etat d’Alabama. Il lui faut quelqu’un pour le tirer d’affaire. Jones refuse de l’aider dans un premier temps. Il a cette phrase définitive : «Ce n’est pas parce qu’un prêcheur noir a été pris la main dans le pot de miel que je dois en faire mon problème.» Le pasteur est alors contraint de changer de stratégie. Il invite Jones à l’un de ses services dans une église de Los Angeles. Et là, au milieu de plusieurs centaines de fidèles, il l’apostrophe, sans jamais citer son nom. Il parle «d’un jeune avocat qui vit bien mais qui a oublié d’où il venait». C’est à cet instant que Jones décide de s’engager aux côtés de King. Il sera de toutes les marches, de toutes les mobilisations. Quand MLK est arrêté en 1963, après une manifestation à Birmingham, Alabama, c’est Jones qui lui transmet du papier, caché sous sa chemise, pour qu’il écrive sa superbe «lettre de la prison de Birmingham» , énième dénonciation de la ségrégation. «On y a cru jusqu’au bout, jusqu’à la mort de Martin. Là, le monde s’est effondré.» Les trente années qui suivent, Jones les emploie à continuer ce qu’il a entamé, mais dans une relative discrétion. Il milite à travers son travail d’avocat, devient un moment le propriétaire de The Amsterdam News, le journal de la communauté noire new-yorkaise, se retrouve aussi impliqué dans une affaire de fraude. Il divorce et se remarie (quatre fois). Mais l’âge venant, il se convainc de la nécessité de raconter son histoire. Et l’émergence d’Obama le confirme dans ses intentions. Quand le sénateur de l’Illinois a délivré son discours de victoire, en novembre à Chicago, Clarence B. Jones était avec des amis, «tous autour de 60 ou 70 ans». «Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous avons pleuré. Longtemps.» Il ne sait pas vraiment où il se trouvera pour l’investiture, mardi, mais il dit croire en ce «superbe président». «Certes, il ne peut pas faire de miracles. Mais nous marchons d’un pas décidé vers cette Amérique post-raciale. Je sais que ce pays a changé. Et c’est aussi grâce à des présidents blancs, tous venus du Sud, que tout cela est possible. Jimmy Carter, Bill Clinton, mais aussi George W. Bush ont beaucoup fait pour la cause des Noirs. On peut haïr la politique de Bush, comme moi, mais on est obligé de reconnaître qu’il a nommé Colin Powell ou Condoleezza Rice». Alors, qu’aurait donc dit Martin Luther King de l’élection d’Obama ? «Je ne sais pas. Mais il aurait souri. Dans son dernier discours, il disait voir la Terre promise. Il n’est plus là, mais la Terre promise n’est pas loin.»

Publié dans discours

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